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Dans l’atelier de…

FRANÇOISE AMADIEU SUBLIME LE CARTON

SI DE NOMBREUX ARTISTES, DONT BRAQUE ET PICASSO, ONT PEINT SUR DU CARTON, AUCUN N’A SU COMME FRANÇOISE AMADIEU EXPLOITER CETTE MATIÈRE POUR INVENTER DES TABLEAUX EN RELIEF D’UNE FOLLE ORIGINALITÉ.
Par Christian Charreyre

Ses liseuses, ses promeneuses, ses danseuses… ont séduit des collectionneurs un peu partout en Europe, aux États-Unis ou en Australie, et sont présentes dans plusieurs musées, jusqu’au Japon. En tombant amoureuse d’un matériau souvent considéré comme peu digne d’intérêt, elle a créé un style qui n’appartient qu’à elle, mélangeant peinture et travail de la matière, pour créer des œuvres pleines de sensualité.

Comment êtes-vous passée de l’illustration de livres d’enfants à la peinture ?

Aux Beaux-Arts, j’aimais beaucoup les cours de peinture. J’aurais aimé devenir peintre à mon arrivée à Paris, mais j’ai eu un enfant très vite avec mon mari, illustrateur. L’illustration étant un vrai métier avec lequel il nous était possible de vivre, j’ai développé mon style propre et illustré des livres pour enfants, des articles de magazine… J’aimais beaucoup le papier Arche sur lequel je travaillais aux encres et aquarelles, mais aussi le papier kraft et le calque. Je suis passée totalement à la peinture beaucoup plus tard en découvrant le carton.

Comment s’est passée cette rencontre déterminante ?

La société Quart de poil, un fabriquant de mobilier en carton, a organisé une grande exposition avenue Daumesnil, à Paris, pour le lancement de sa ligne de produits, demandant à divers artistes de peindre un paravent et un fauteuil. L’exposition était suivie d’une vente aux enchères. Ayant été sollicitée, j’ai réalisé deux œuvres dont l’une a été achetée par un musée japonais. En réalisant ces peintures, j’ai découvert les vertus du carton et le plaisir de travailler sur ce matériau.

Qu’est-ce que le carton vous apporte ?

Il est léger, tout à la fois souple et rigide, carrément gratuit et facile à travailler. Il a la couleur et le toucher de la peau. J’aime sa sensualité.

Votre travail est-il de la peinture, de la sculpture, autre chose ?

Au début, je travaillais à plat, n’utilisant le carton que comme support de ma peinture, et l’idée m’est venue de le plier, puis de le sculpter, incisant sa surface au cutter afin de faire apparaître les cannelures et donc de jouer avec le relief, l’ombre et la lumière. Dès lors, j’ai décidé que la cannelure était ma matière et j’ai révisé ma technique de peinture apprise aux Beaux-Arts, estompant le jeu des volumes et des ombres pour laisser sa part au carton et au pliage. C’est donc tout à la fois de la peinture et de la sculpture, du haut relief, de la peinture en relief.

D’autres artistes ont-ils adopté la même technique ?

Un des premiers à avoir utilisé du carton dans un tableau est Braque en 1905, Picasso ensuite. Beaucoup d’artistes l’ont inscrit dans leurs œuvres mais surtout comme support à la peinture. J’ai croisé des techniques approchantes, mais depuis 1995, quand j’ai commencé, je n’ai encore jamais vu personne utiliser cette technique que j’ai alors inventée, développée et perfectionnée. Beaucoup d’artistes qui travaillent le carton réalisent plutôt des sculptures alors que je fais surtout des tableaux. Mais, bien sûr, je ne connais pas tout ce qui se fait de par le monde.

Travailler sur un support considéré comme moins « noble » que la toile ne dévalorise-t-il pas vos tableaux ?

Je l’ai pensé au début devant les arguments de fragilité, de matériau recyclé. On me l’a même fait remarquer mais, dès le départ, j’ai cherché une solution technique qui permette de conserver le carton. J’ai travaillé avec un fabriquant de vernis qui m’a trouvé le produit idéal pour le rendre solide, imputrescible, hydrofuge…, bref, pour faire que ce support soit aussi résistant et même plus résistant qu’une toile. Ce qui était d’emblée vu comme un handicap s’est révélé être un avantage, une originalité qui met en relief ma peinture.

Le carton doit-il être préparé spécialement avant d’être utilisé ?

Absolument. Je commence à sculpter le carton ondulé naturel à plat puis je l’enduis de résine. Ensuite je peux aussi bien travailler à l’eau ou à l’huile sur sa surface, le découper, le plier, le coller et revernir.

Quelles techniques de peinture utilisez-vous ?

J’aime surtout les acryliques au séchage rapide, ce qui permet d’avancer sans attendre trop le séchage. Mais il m’arrive d’utiliser des huiles
ou des alkydes, également des pigments qui se travaillent à l’eau. Je fais ma cuisine !

La qualité des outils et des produits est-elle importante pour vous ?

Les pinceaux s’usent très vite sur le carton à double cannelure, il faut donc choisir de la bonne qualité. Je privilégie certaines marques d’acryliques hautes performances. Quand au carton, je l’achète en plaques neuves. Au début, je récupérais des cartons dans la rue, mais ils étaient souvent abîmés ou de mauvaise qualité, de formats réduits et cela me prenait du temps. J’ai la chance d’avoir une cartonnerie proche de mon atelier où je peux choisir les cartons ondulés de toutes sortes.

Vous affectionnez le bleu de Lectoure. Pouvez-vous en dire plus sur cette peinture artisanale ?

Ce bleu de pastel – qui est une plante – a fait la la richesse du Sud Ouest pendant des siècles. C’était la seule façon de teindre des vêtements en bleu. À la Révolution, les champs de pastel ont été rasés, le bleu étant le symbole de la royauté. Ce n’est qu’il y a une vingtaine d’année que l’on a refait du bleu pastel, autour de Lectoure dans le Gers. C’est un bleu un peu gris, très stable et lumineux, que j’aime utiliser et qui joue bien avec la matière du carton.

Comment concevez-vous un tableau ? D’abord par le dessin ou par le travail sur la matière ?

Je commence toujours par le dessin sur papier calque, au feutre, faisant des séries de croquis que j’assemble, que j’agrandis, car la composition est primordiale pour moi et que le dessin soutient la composition. Je dois alors anticiper l’emplacement des pliages. Ensuite, je dessine à la craie directement sur le carton et je passe à la gravure au cutter. Cette sculpture faite, le tableau est résiné. Ensuite, je peins à plat (pour les petits tableaux), jouant avec la cannelure. J’aime que l’on voit cette matière. Suivant les lignes de repère de pliage, je fais les découpes aux bons endroits pour obtenir le relief. Vient ensuite le collage sur le fond de contreplaqué et celui des renforts nécessaires. Je termine par un vernis mat antistatique, empêchant la poussière de se déposer sur le tableau. L’encadrement est fait d’une simple baguette d’atelier. Quelques acheteurs les ont fait encadrer par un encadreur professionnel, mais ce n’est pas, à mon avis, nécessaire. Garder l’encadrement d’atelier fait le lien avec la matière du carton. J’ai toujours été étonnée de voir que mes tableaux s’intégraient aussi bien dans des intérieurs rustiques, de style ou contemporain.

Quels sont vos sujets de prédilection ?

Le corps, surtout féminin. C’est un sujet inépuisable, un travail sur les courbes et contre-courbes, plein de sensualité et cela me plaît beaucoup. J’aime la grande peinture classique et je pense être en continuité avec elle, étant figurative, tout en étant contemporaine par le choix du support et l’originalité de ma technique. Un critique m’a dit un jour que j’étais une sorte chaînon manquant entre les deux périodes… Un personnage dans un tableau permet une conversation avec l’œuvre, elle ajoute une réelle présence à la composition des formes et des couleurs. Cette présence est un mystère qui fait que le tableau « existe » ou non. Quant aux sujets annexes, j’ai beaucoup travaillé les attitudes de lecture, les porteuses de parapluies et les parasols sur la plage, les fleurs, les vêtements. J’aime aussi les arbres et les paysages, les couples qui dansent le tango, les musiciens qui les accompagnent, les animaux. Tout sujet est intéressant du moment que le résultat arrête le regard, provoque une émotion, fait vibrer le spectateur.

Vous dites « habiller les personnages en déshabillant le carton ». Que voulez-vous dire par là ?

Simplement parce que, incisant le carton, j’en arrache la surface. C’est ainsi que, jouant avec la cannelure mise à nu, je peux ornementer telle ou telle surface.

Comment est installé votre atelier du Gers ?

C’était un atelier de maréchal-ferrant que j’ai transformé avec mon mari. Il est nettement plus vaste que celui que nous avions à Paris, l’avantage de la province. Il est divisé en plusieurs secteurs, celui où nous travaillons, et un espace d’exposition de nos œuvres pour chacun. L’atelier donnant sur la rue, y entre et le visite qui veut. Nous avons la chance d’habiter une bastide dans « Un des plus beaux villages de France » et d’être situés sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Nous sommes donc très visités.

Est-ce que votre travail nécessite un espace ou des outils particuliers ?

Juste l’espace nécessaire en fonction de la dimension du tableau. Je travaille à plat pour les petits formats et verticalement sur les plus
grands. J’ai déjà réalisé des tableaux de 2 x 2 mètres… Les outils sont classiques, pinceaux, cutters, craies, pinceaux…

Combien de temps mettez-vous pour finir un tableau ?

Question récurrente et à laquelle je ne peux jamais répondre. Je dis parfois entre deux jours et trente-cinq ans.

Travaillez-vous sur une ou plusieurs œuvres à la fois ?

Je fais souvent des séries de même thème et de même format. Quand je sens bien le dessin, j’en dessine plusieurs à la suite puis les exécute un par un.

Vous participez à beaucoup d’expositions. Comment avez-vous commencé ?

J’ai d’abord participé à des expositions collectives, puis personnelles uniquement lorsque j’ai été vraiment sûre de mon style et mon originalité. Des galeries m’ont alors découverte sur des salons.

Vos œuvres sont exposées au Musée Nishinomyia. Les Japonais sont-ils particulièrement sensibles à votre travail ?

Je n’ai que peu de retour du Japon. Le musée du Gers a acquis un de mes tableaux pour sa collection permanente, ainsi que le musée Charmey en Suisse. J’ai aussi exposé dans divers musées en expositions temporaires personnelles.

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