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Nature morte, un sujet d’une incroyable diversité

La représentation d’objets est un classique de la peinture et du dessin, à la fois genre pictural majeur et point de passage incontournable dans l’apprentissage technique. De l’exercice le plus basique à la composition la plus complexe, la nature morte pose une suite de défis.
Par Anne Chanterelle

Pour Manet, «Un bon peintre est reconnu pour sa capacité à exprimer la simplicité d’un fruit». On ne saurait mieux résumer le paradoxe de la nature morte, ce genre parfois considéré comme moins noble que le portrait ou le paysage, mais qui a pourtant inspiré des artistes depuis la nuit des temps. L’un des précurseurs était Zeuxis, un peintre grec de Héraclée né en 464 av. J.-C. qui peignait des grappes de raisins si réalistes que les oiseaux venaient les picorer… selon les textes de l’époque du moins, car aucune de ses œuvres n’est arrivée jusqu’à nous. Si la peinture de cette nature immobile (la traduction du terme anglais still life, peut-être moins négatif que l’expression française) a inspiré des peintres et des dessinateurs à toutes les époques, c’est qu’elle pose une question passionnante : comment donner une âme à un objet inanimé pour créer l’émotion chez le spectateur? Par la virtuosité technique, l’intelligence de la composition, l’interprétation symbolique des éléments. En d’autres termes, le talent de l’artiste.

Un siècle d’or

Jusqu’au Moyen-Âge, la représentation des objets n’est souvent qu’une partie d’une composition plus large, un repas, un intérieur… À partir de la fin du XVIe siècle, la Réforme protestante joue un rôle clé dans le développement de la nature morte. À une époque où les œuvres d’inspirations religieuses n’étaient plus permises, les artistes des Pays-Bas ont commencé à peindre des scènes de la vie quotidienne, vues de villes, paysages de campagne et, bien sûr, natures mortes. Les peintres appréciaient d’avoir toute liberté pour choisir les objets et imaginer leurs compositions. Les tableaux de « tables servies » deviennent très populaire au XVIIe siècle, dans toute l’Europe du Nord. Les éléments du tableau sont posés sur une table, le plus souvent placé devant un mur sombre. Les objets sont peints avec une grande précision, notamment au niveau du rendu des matières. Certains sont fortement éclairés, d’autres plongés dans l’ombre, pour donner de la profondeur au tableau. Les compositions florales sont également un sujet d’inspiration prisé. Les maîtres flamands de l’époque, comme Willem Heda, Pieter Claesz ou Nicolas Gillis, rivalisent de dextérité. Frans Snyders excellait à un tel point dans le rendu des fruits et légumes que Peter Paul Rubens lui demandait souvent d’exécuter les natures mortes de ses compositions ! La nature morte arrive en Italie, en Espagne, avec une différence culturelle majeure. Aux Pays-Bas et en Allemagne, ces œuvres montrent la richesse et le confort d’une classe sociale privilégiée. Dans les pays catholiques tels que l’Italie et l’Espagne, les références religieuses sont plus présentes. Le Caravage est l’un des premiers grands maîtres italiens à avoir peint des natures mortes, comme son célèbre Panier avec des fruits. La nature morte est l’un des phénomènes artistiques les plus importants du passage de la Renaissance au baroque. Au XVIIIe siècle, le français Jean Siméon Chardin s’impose comme le maître des natures mortes, redonnant ses lettres de noblesse à un genre qui était un peu sous-considéré. À la fin du XIXe siècle, les impressionnistes adoptent ce genre et l’assemblent avec des paysages de champs lumineux et de couleurs vives. Édouard Manet et Auguste Renoir ont composé des fleurs et des fruits colorés, sans oublier Van Gogh et ses mythiques Tournesols. Avec Cézanne, la nature morte devient un champ d’exploration artistique, éliminant la rigueur de la perspective. Le genre sera exploré par les différents courants du début du XXe siècle, cubistes, futuristes, dadaistes… lui imposant toutes sortes de changements et d’épreuves. Des peintres tels que Picasso ou Braque ont pratiqué la nature morte sous diverses formes, notamment le collage. Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’objet est représenté comme symbole de la société de consommation, à l’image de la célèbre boîte de soupe en conserve Campbell par Andy Warhol.

Une multitude de sujets

Le terme générique de nature morte regroupe en fait un genre particulièrement abondant. Ces œuvres peuvent représenter des objets aussi variés que de la vaisselle, des vases, des coupelles, des livres, des meubles, des vêtements, des instruments de musique, des fleurs, des fruits, des légumes, des animaux morts, des pièces de viande ou de poisson… On ne peut qu’être surpris de la très grande variété de sujets développés sous cette étiquette. En fait, la plupart sont directement issus des thématiques religieuses : les fleurs font référence à l’Annonciation, les repas à la Cène, les livres aux textes saints ! Avec le temps, cette dimension s’est faite moins prégnante et d’autres sous-catégories ont fait leur apparition, comme les tabagies, représentant les accessoires nécessaires au fumeur. Les objets choisis sont le reflet de leur époque et peuvent même porter un message social. Les Vieux Souliers de Van Gogh n’ont évidemment pas la même connotation que les coffrets à bijoux de Gustave Émile Couder. Les maîtres flamands peignaient des fleurs rares pour que leurs riches commanditaires puissent les admirer dans leurs cabinets de curiosité. Par sa diversité, la nature morte est également un processus d’expérimentation technique. Reproduire le velouté d’un fruit, la texture du bois d’un violon, le drapé d’un tissu ou la matité d’une cruche en étain est loin d’être simple et nécessite une parfaite maîtrise des valeurs et des couleurs. Pour donner de la profondeur à un tableau, il est également nécessaire de porter une attention particulière aux ombres et aux lumières. Enfin, les possibilités quasi infinies de combinaison d’objets obligent à une recherche et un travail fin de la composition. Si la nature morte est toujours aussi importante aujourd’hui, que ce soit dans les écoles d’art, dans les galeries ou les musées, ce n’est pas sans raison. Il ne vous reste plus qu’à vous lancer.

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