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Dans l’atelier de…

PLONGÉE DANS L’UNIVERS ONIRIQUE DE MARIE CLAIRE D’ARMAGNAC

AU PREMIER REGARD, ON POURRAIT PENSER À UNE ŒUVRE D’UN PRÉRAPHAÉLITE. MAIS LE TRAVAIL DE CETTE ARTISTE ATYPIQUE NOUS ENTRAÎNE DANS UN MONDE N’APPARTENANT QU’À ELLE MAIS QUI ÉVOQUE LES SOUVENIRS DE TOUS.
Par Christian Charreyre

Dans ses toiles aux couleurs fondues les unes dans les autres – grâce à une maîtrise des glacis qu’elle peaufine depuis des années – cette artiste gersoise suggère plus qu’elle ne décrit. Ses personnages, le plus souvent féminins, nous ouvrent les portes d’un monde où l’inconscient – le sien, le nôtre – nous regarde et nous renvoie une image qui ne laisse pas intact. Quand la technique se marie à l’émotion, l’art est présent.

Quel a été votre parcours artistique ?

J’ai toujours peint, je ne pourrais pas dire quand j’ai commencé. Petite, j’habitais à Antibes et j’aimais m’inventer des mondes merveilleux où les enfants étaient rois. Pour moi, c’était important, peut-être pour fuir le quotidien, la réalité qui n’étaient pas tels que je le souhaitais. J’aimais aussi beaucoup les mots et j’ai été journaliste pendant dix-huit ans. J’ai commencé à exposer et lorsque j’ai constaté que je pouvais vivre de ma peinture, dans les années 1990, j’ai démissionné. Depuis, je suis artiste professionnelle.

Avez-vous trouvé votre style immédiatement ?

Pas du tout, c’est un parcours initiatique qui m’y a conduit. Je suis passée par toutes les techniques, par tous les mouvements. Comme beaucoup, j’ai commencé par les paysages. Et puis sont intervenus des personnages de jeunes filles, de dos. Au fil du temps, elles se sont retournées, elles se sont animées et les visages sont apparus en gros plan, surtout les regards.

Certains critiques décrivent votre travail comme onirique, intemporel et légèrement suranné. Ces termes vous conviennent-ils ?

Onirique et intemporel, je suis tout à fait d’accord. Suranné, un peu moins [rires]. Je vais au fond de moi pour accrocher
mes rêves et les rêves n’ont pas d’âge. Il me semble que, dans nos rêves, nous sommes tous un peu passéistes.

Vous considérez-vous comme une peintre surréaliste ?

Oui, mais pas uniquement. Je pense que je suis aussi symboliste et coloriste. Je ne suis d’aucune école, j’ai étudié tous les mouvements artistiques, tous les styles. Vous savez, tout a été dit, tout a été fait. Le meilleur se trouve dans les plus grands musées du monde. Alors, on essaie de créer. Personnellement, je pars du néant et on verra bien ce que cela va donner.

La référence à Leonor Fini vous parle ?

[rires] Je crois que c’est une cousine ! Je ne veux absolument rien regarder d’elle parce que je n’ai pas envie d’être influencée.

Vous décrivez votre travail comme une quête de bonheur…

Et bien… c’est possible. L’acte de peindre est déjà un bonheur infini pour moi mais, je pense, pour beaucoup d’artistes. La peinture est une passion devenue une profession, mais elle est toujours restée passion. Bien sûr, je suis heureuse que ma peinture se soit vendue et j’espère qu’elle se vendra encore, mais je n’ai jamais cherché à peindre pour vendre. C’est un acte égoïste. Je peins d’abord pour mon plaisir. Je tends à peindre le bonheur. La paix, la sérénité sont tellement importantes. Pourquoi agresser en peinture quand on peut donner une autre image et une autre émotion.

Pourtant, vos toiles laissent apparaître une certaine violence derrière la douceur. Est-ce une opposition volontaire ?

Oui et non. Cela tient peut-être à mes origines un peu flamboyantes – je suis Corse – avec un tempérament un peu fougueux. J’aime les couleurs, j’aime les contrastes.

Comment abordez-vous une nouvelle toile ?

Je pars dans le néant total, le chaos des origines. Et j’essaie d’accrocher quelque chose, de capturer, de chasser un sujet sur ma toile. Quand j’en trouve un qui me parle, m’interpelle, il faut que je lui donne vie. Souvent, c’est très doux, un visage de femme ou d’enfant. Je ne suis pas satisfaite tant que je n’aie pas une couleur profonde, comme si je voulais « noyer » mon sujet.

Est-ce pour cela que vous travaillez dans des palettes de couleurs réduites ?

Oui. C’est là que les glacis interviennent. Je peux poser plus de quarante glacis sur une toile, des couches transparentes successives pour « monter » la couleur. Par exemple, je ne vais pas peindre un vert. Je vais d’abord poser un jaune transparent puis un bleu transparent pour avoir un vert que je n’aurai jamais obtenu autrement. Mais dans ces couleurs, il y a beaucoup de choses. Sur cinq centimètres carrés, il peut y avoir un tas de personnages qui vous regardent. Ma peinture est une peinture qui nous regarde !

Quelle technique utilisez-vous ?

C’est la peinture à l’huile que je préfère, justement depuis que j’ai découvert cette technique des glacis, qui évolue toujours. J’ai commencé par la gouache, tout simplement, puis l’aquarelle, les pastels gras. Ensuite est arrivé l’acrylique mais cela ne me satisfaisait pas. Je trouve que l’huile est beaucoup plus onctueuse, que les couleurs sont plus profondes.

Vous installer à Eauze a eu une grande influence sur votre pratique…

Le fait d’arriver dans le Gers a certainement transformé ma vie. Je pense que je n’aurais pas été peintre si je ne vivais pas ici. Et j’ai fait beaucoup de choses dans cette ville : organisé des expositions importantes, fait venir les artistes, des galeries dans lesquelles j’étais sur Paris et cela a donné à Eauze un essor extraordinaire.

Comment êtes-vous installée pour peindre ?

J’ai un atelier merveilleux, qui donne sur la nature, où chaque coin est un coin de mystère. Il y a aussi une très belle lumière qui fait totalement partie de ma peinture, très importante dans ma technique. Je pars des couleurs, de la forme et de la lumière… et de cette « musique du tableau » qu’affectionnait Gauguin.

Vous avez déclaré que vous vous « évadiez du réel en peignant ». Pouvez-vous nous expliquer ?

C’est certain, peindre est une thérapie. Je ne peux pas faire plusieurs tableaux en même temps. Je m’immerge totalement dans la toile, j’oublie tout – c’est un peu bête de dire cela –, je suis avec les personnages qui représentent sans doute quelque part un miroir.

Avez-vous toujours su que vous vouliez être peintre ?

Quand j’avais dix ans, mon père a vendu un de mes tableaux à une galerie du vieil Antibes, la galerie Meiffret qui a aujourd’hui disparu. Et il m’a dit : « Tu seras peintre ». Cela m’a donné un peu de courage. Comme la peinture était une passion, je l’ai totalement exploitée. Bon, c’était une exception et j’ai commencé à vendre des toiles plus tard, en commençant par de petites expositions.

Comment avez-vous développé votre présence à l’international ?

C’est grâce à mon marchand, qui a disparu aujourd’hui. J’ai eu une chance extraordinaire. Il a proposé ma peinture en Chine, aux États-Unis, en Allemagne. Il s’occupait de tout, je n’avais qu’à arriver avec ma valise, mes tableaux étaient déjà accrochés !

Comment l’avez-vous rencontré ?

Dans une toute petite exposition à Barbotan-lesthermes, une station de cure dans le Gers. Mon stand était tellement éloigné de tout que les gens pensaient que c’était l’entrée des toilettes et que j’étais la dame pipi ! Heureusement, certains entraient quand même et découvraient mes toiles. Il y a même une femme qui s’est évanouie devant l’une d’elle, parce qu’elle avait eu l’impression de voir sa vie, c’était un peu bizarre. Ce marchand était de passage, il a vu l’affiche de mon exposition, regardé mes toiles, m’a demandé mon numéro de téléphone, est venu chez moi et m’a signé un contrat d’exclusivité !

N’êtes-vous pas plus reconnue à l’international qu’en France ?

Non, je ne pense pas. Vous savez, être reconnue, c’est un grand mot. Cela me flatte, évidemment [rires] mais on peut aussi se faire oublier.

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