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Dans l’atelier de…

LES PASTELS DÉLICATS DE CHRISTINE MERGNAT

LES TABLEAUX DE CETTE CORRÉZIENNE DE NAISSANCE ET VILLEURBANNAISE D’ADOPTION ILLUSTRENT TOUTE LA FINESSE DU TRAVAIL AU PASTEL SEC, AVEC UN JEU DE TRANSPARENCE TOUT EN DÉLICATESSE.
Par Christian Charreyre

Christine Mergnat, qui est, selon ses propres mots, « née avec un crayon à la main », à découvert le pastel sec un peu par hasard. Tombée amoureuse de cette technique, elle en a exploré toute la richesse, d’abord dans les portraits. Sur les conseils de son ami Guy Christian Canat, elle s’est formée auprès de plusieurs maîtres pastellistes pour élargir son horizon et construire son univers où la maîtrise technique se marie à une inspiration de plus en plus poétique.

Comment avez-vous abordé le dessin ?

Depuis que je suis toute petite, il a toujours été dans ma vie. Comme beaucoup d’enfants, j’ai commencé par dessiner les héros de bande dessinée, les Mickey, Donald et autres personnages de Walt Disney… Comme j’ai grandi dans une ferme à la campagne, j’étais aussi très intéressée par les animaux. J’étais très observatrice de tout ce qui m’entourait. Et comme j’étais plutôt timide et réservée, le dessin me permettait de m’évader et de créer des liens en offrant mes dessins à tout le monde [rire]. J’étais en pension à partir de onze ans et j’en ai pas mal souffert. Le dessin m’a aussi permis d’exprimer ma tristesse, mon mal-être…. À l’adolescence, j’ai eu une attirance pour les portraits d’enfants.

Vous n’avez pas envisagé une carrière professionnelle ?

À l’époque – j’ai 58 ans –, une fille, après le bac, était destinée à une carrière dans la comptabilité ou le secrétariat. Il y a bien un instituteur qui est venu voir mes parents pour les sensibiliser sur le fait que je dessinais pas mal, mais je savais bien que, pour eux, ce n’était pas quelque chose de sérieux. Je me suis résignée, sans grand enthousiasme, et j’ai fait une carrière administrative. Je suis restée trente-cinq ans dans les bureaux, mais le dessin a toujours existé en marge de mon activité professionnelle, avec plus ou moins d’assiduité selon les périodes. Cela a toujours été pour moi un refuge, une sorte de « doudou » réconfortant quand j’avais des peines de cœur, des choses qui ne passaient pas.

Vous avez pourtant franchi le pas..

Ce qui c’est passé, c’est que j’ai fait, comme beaucoup, un burnout. Je me rendais compte que mon travail me minait complètement, qu’il était vide de sens, que je ne m’y retrouvais plus après des années à avoir pris du plaisir à l’exercer. En 2017-2018, j’étais épuisée, avec de gros soucis de santé et je me suis posée les bonnes questions. Est-ce que j’ai vraiment envie de continuer à me faire du mal ? Ou est-ce que je vais enfin faire ce dont j’ai vraiment en vie ? Je me suis dit : « tu as 54 ans, si tu ne le fais pas maintenant, tu ne le feras jamais ». J’ai négocié une rupture conventionnelle qui m’a donné le droit au chômage pendant trois ans, ce qui était un filet de sécurité.

Vous aviez cependant commencé à exposer quelques années plus tôt…

Oui. J’ai fait ma première proposition d’exposition en 2009 à Pusignan. À l’époque, j’avais un blog sur Internet où je postais mes dessins et, parmi les personnes qui me suivaient, l’une m’a mise en contact avec une responsable d’association de loisirs créatifs de cette petite ville du Rhône. Pour moi, c’était génial. Enfin, on s’intéressait un peu à ce que je faisais [rires]. Sur mon stand, j’ai proposé des démonstrations en direct qui ont rameuté un peu de monde et la présidente de l’association m’a
demandé si cela m’intéressait d’animer des ateliers pastel, ce que j’ai démarré depuis 2010. En parallèle de mon travail de salarié, je menais ma petite entreprise de vente de dessins et de cours. Et quand j’ai décidé de ne faire que cela, j’avais déjà dix ans d’expérience derrière moi.

Comment avez-vous choisi les pastels secs ?

Je les ai découverts en 2007. Auparavant, j’avais toujours utilisé des techniques sèches, crayons graphites, crayons de couleurs, crayons aquarelle… Un jour, ma sœur m’a offert des crayons pastel et cela a tout de suite été le coup de cœur pour leur côté tendre, lumineux… J’ai eu l’impression d’avoir trouvé le médium qui convenait à ce que je faisais. À partir de 2012, je me suis inscrite à des stages aux Pastellistes de France, avec Lionel Asselineau, Jacqueline Belleiche, Claude Carvin, Marie-Hélène Yernaux, Gisèle Hurtaud… En essayant, à chaque fois, de me confronter à des sensibilités et des manières de pratiquer différentes, de m’inspirer de leur savoir-faire évidemment et d’enrichir ma petite cuisine personnelle.

Comment avez-vous trouvé votre style tout en délicatesse ?

Avec cette technique, chacun doit trouver ce qui correspond à sa façon de travailler. Certains estompent, d’autres pas. Moi j’estompe, notamment dans mes créations les plus récentes. J’utilise une très fine pellicule de pastel pour des effets de transparence. Sur le papier PastelMat, j’arrive à poser un voile de couleur très léger. Je travaille avec des pastels Rembrandt, qui sont ni trop secs ni trop poudreux, et qui correspondent à ce que je fais en ce moment.

Vous n’avez jamais eu la tentation de la peinture ?

Déjà, je suis très sensible aux odeurs, donc tout ce qui est huile et térébenthine, c’est hors de question [rire]. Depuis cinq ans, je fais un peu d’aquarelle de manière ponctuelle parce que j’ai vu avec Claude Carvin que l’on pouvait poser de l’aquarelle avant de mettre le pastel par dessus. J’ai fait aussi un peu de gouache. Mais je trouve tellement de satisfaction à travailler le pastel… Comme je fais évoluer les sujets et ma manière de pratiquer, je n’ai pas de frustration. Ce qui est aussi intéressant avec le pastel, c’est que c’est immédiat.

Cette simplicité est-elle importante pour vous ?

Tout a fait. Le pastel, c’est vite prêt, vite rangé : on sort ses feuilles, ses crayons et on est tout de suite dans l’action. Quand j’avais encore une activité salariée, dès que j’arrivais chez moi après une journée parfois pénible, il fallait que je m’accorde ne serait-ce que 20 minutes de dessin. Par ailleurs, les pastels secs de qualité, comme les Rembrandt ou les Jaxell, durent longtemps.

Comment êtes-vous installée pour dessiner ?

De manière très sommaire [rires]. J’ai investi l’ancienne chambre de ma fille qui a quitté la maison depuis pas mal d’années, où j’ai un petit bureau vraiment tout simple. En revanche, pour mes 50 ans, je me suis offert un chevalet à tiroirs sur roulettes, dans lequel je peux ranger tous mes pastels. Quand je donne un cours à la maison, je pousse les canapés et je m’installe pour faire mes démos au milieu de mes élèves. Ce qui est aussi important, j’ai une lampe « lumière du jour » que je fixe sur mon chevalet à partir de l’automne, lorsque la luminosité commence à baisser. Quand je veux travailler d’après photo, j’installe une planche inclinée au pied de mon ordinateur. Avec l’écran tactile, je peux zoomer sur un détail.

Quels sont vos thèmes de prédilection ?

J’ai toujours été passionnée par les portraits. Mais avoir fait des stages avec d’autres pastellistes dont les sujets étaient différents des miens, comme Gisèle Hurtaud qui a fait toute une série de fleurs m’a donné des perspectives. C’était aussi une volonté de ma part de sortir de ma zone de confort. Je me suis un peu bousculée pour aller vers d’autres choses, même si je suis naturellement revenue vers le portrait. Dans mes dernières créations, j’intègre des corps féminins avec des transparences de fleurs, j’essaie de mélanger un peu tout. Il faut essayer d’enrichir son propre univers tout en essayant de ne pas perdre le fil de sa petite musique intérieur. C’est pendant le confinement où j’ai eu cette envie de nature, parce que cela nous manquait énormément, et je suis allée vers des choses plus éthérées.

Vous faites également des illustrations plus humoristiques, toujours au pastel…

Oui. Depuis toujours, je me suis nourrie de BD. Je suis très fan de Gotlieb. Au collège, je caricaturais les profs, les copains et les copines. Plus tard, dans les bureaux, quand il y avait un départ en retraite, on me demandait de faire une carte personnalisée…

Est-ce une démarche artistique différente ?

Complètement. C’est plus rapide et c’est jubilatoire. Il y a beaucoup plus de contrôle quand je fais un tableau au pastel, alors qu’il y a là un véritable lâcher-prise. Pour moi, c’est une récréation. On m’a proposé d’illustrer un petit livre pour enfants sorti en mai dernier, Le gentil petit livre des cuculs, une cinquantaine de dessins avec des animaux et j’ai adoré ça ! J’ai besoin des deux.

Exposez-vous régulièrement ?

J’essaie. Évidemment, avec les années Covid, cela s’est un peu espacé. Et je fais le constat que je vends davantage sur Internet que dans les expos physiques. J’ai une page pro sur Facebook depuis 2013 et il y a plus de commandes de tableaux ou de demandes de stage par ce biais. Une exposition physique, cela demande de l’investissement en temps et en argent. J’essaie de privilégier les événements liés au pastel, comme ceux de Lyon et de Sanary-sur-mer.

Aujourd’hui, vivez-vous de votre art ?

Je vais être honnête, s’il n’y avait pas le salaire de mon mari, cela serait un peu compliqué [rire]. Mais je me satisfais de peu et ce que j’ai me convient. La vente de tableaux reste évidemment très aléatoire. Je fais aussi des travaux sur commande, principalement des portraits, notamment d’enfants et des animaux. J’ai aussi imaginé un concept de « pastel à la carte » où je demandais aux gens de me décrire un tableau rêvé, qui écrit une page de l’histoire de leur vie. J’adore, parce que je suis l’outil entre ce que la personne a dans la tête et ce que je peux réaliser. Et j’ai trouvé une certaine régularité dans les ateliers, ce qui est aujourd’hui le plus rémunérateur.

Outre l’aspect financier, l’enseignement a-t-il un effet sur votre pratique personnelle ?

Parfaitement. Comme je le dis souvent à mes élèves, ils m’apprennent autant, si ce n’est plus, que ce que je leur apprends…. par les sujets qu’ils souhaitent aborder, parce que je leur laisse une grande liberté. J’ai eu parfois des demandes un peu particulières qui m’obligent à aller sur des terrains qui ne sont pas forcément les miens, ce qui est très bien. Il faut que je m’adapte aux différentes personnalités, aux différents niveaux… La première fois que l’on m’a demandé d’animer un atelier, je me suis demandée ce que j’allais bien pouvoir leur dire. Cela m’a forcé à mettre des mots sur ma technique. Cela m’a donné une assurance que je n’avais pas.

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