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Le renouveau de l’art botanique

Né avec l’étude scientifique du monde végétal, l’art botanique connaît un regain d’intérêt par les artistes qui, pour beaucoup, en repoussent les limites.
Par Gabrielle Gauthier

À l’aube du Moyen Âge, la flore devient un sujet d’étude scientifique, avec l’apparition des herbiers: les plantes sont collectionnées, séchées et collées sur une feuille de papier. Les botanistes documentent avec soin leurs trouvailles, racines, fleurs, bourgeons, graines… alimentant leurs recherches par l’arrivée des plantes inconnues en provenance du Nouveau Monde. Ces herbiers ont cependant un grave défaut puisque leur fragilité extrême rend difficile leur conservation et les informations qu’ils contiennent. Les botanistes ont alors l’idée de dessiner eux-mêmes les plantes et fleurs de la manière la plus exacte possible. Et pour reproduire au mieux l’aspect de la plante, ils utilisent la gouache ou l’aquarelle. Ces représentations deviennent d’ailleurs plus fidèles que les herbiers, qui ne restituent pas les couleurs.

L’essor de l’art botanique

L’histoire du dialogue entre art et science s’ouvre ainsi avec l’illustration botanique dont le dessein est de représenter avec précision l’anatomie et les caractères invariables des plantes. Prenant son essor à l’âge des grandes découvertes aux XVe et XVIe siècles, le développement du dessin naturaliste va de pair avec celui de la pensée humaniste, qui prône la multiplication des savoirs et leur vulgarisation. Au gré des progrès techniques d’impression, l’art botanique se diffuse surtout à travers le médium du livre et acquiert ses lettres de noblesse sous l’impulsion d’artistes virtuoses. Parmi eux, Pierre-Joseph Redouté, surnommé le « Raphaël des fleurs », mène cet art très scientifique à son apogée grâce à des planches d’une précision et d’une sophistication nouvelles. C’est en effet au XVIIIe siècle, grâce au développement des sciences naturelles, que le genre connaît un engouement particulier, notamment auprès des femmes. On peut citer Maria Sybilla Merian, Mary Delany, Anna Atkins…

L’art botanique contemporain

L’illustration botanique est donc la représentation picturale précise des plantes et de leurs caractéristiques dans un but scientifique, par opposition à la peinture de fleurs, qui n’a d’autre but que d’être admirée. Elle met l’accent sur la science plutôt que sur l’art visuel. Le facteur fondamental de la qualité scientifique d’une illustration botanique n’est pas le support choisi ou la technologie utilisée pour sa représentation, mais la compréhension de la morphologie des plantes par l’artiste. Récemment, une renaissance a eu lieu dans l’art botanique et l’illustration. Des organismes voués à la promotion de cette forme d’art se trouvent aux États-Unis (American Society of Botanical Artists), au Royaume-Uni (Society of Botanical Artists), en Australie (Botanical Art Society of Australia) et en Afrique du Sud (Botanical Artists Association of South Africa). Les raisons de cette résurgence sont nombreuses. En plus de la nécessité d’une illustration scientifique claire, les représentations botaniques continuent d’être l’une des formes les plus populaires «d’art pariétal». Il y a un intérêt croissant pour les changements qui se produisent dans le monde naturel, et dans le rôle central que les plantes jouent dans le maintien d’écosystèmes sains. Un sentiment d’urgence s’est développé dans l’enregistrement de la vie végétale changeante d’aujourd’hui pour les générations futures. « Les artistes botaniques contemporains partagent une préoccupation pour l’environnement, en particulier à la lumière du changement climatique, ainsi que pour attirer l’attention sur les plantes. Avant l’invention de la photographie, les illustrations botaniques étaient essentielles à la compréhension des plantes. Aujourd’hui aussi, les dessins peuvent éclairer certains aspects des plantes. Une illustration peut ainsi montrer plusieurs parties d’une plante en même temps, des détails supplémentaires d’un fruit, ce à quoi il ressemble coupé en deux… ce qu’une photo ne peut pas faire », explique Robin Jess, enseignant à l’American Society of Botanical Artists. Ainsi, travaillant avec des scientifiques, des conservateurs, des horticulteurs et des galeries du monde entier, les artistes d’aujourd’hui repoussent les limites de cet art, comme nous l’explique Annie Cassez.

Qu’est-ce que l’art botanique en peinture ?

Commençons par dire ce qu’il n’est pas. Si le rendu est plutôt scientifique, c’est de l’illustration botanique ; si différentes sortes de fleurs sont représentées en bouquet, avec moins de précision, c’est de la peinture de fleurs; si on y ajoute des objets, cela devient de la nature morte. On peut donc le définir comme la représentation botaniquement correcte et esthétiquement plaisante de végétaux. Le côté artistique est prédominant.

Comment l’avez-vous découvert ?

Ma grand-mère m’emmenait cueillir des fleurs dans son jardin puis nous cherchions dans les livres leur nom latin. Ce sont des rudiments de botanique. J’ai toujours produit de petites études de fleurs, fruits et légumes, que j’incluais parfois dans mes tableaux. Il y a quelques années, après un diplôme d’ethnobotaniste, je me suis davantage impliquée dans la botanique et l’illustration. J’ai alors découvert un monde foisonnant avec des dizaines de milliers d’amateurs sur tous les continents, des sociétés, des expositions, des concours, des publications, des gens dont l’art botanique est la passion.

Et qu’est-ce qui vous a séduite ?

La grande liberté qui y règne. L’art botanique contemporain favorise l’originalité, la créativité, la recherche de matériaux nouveaux, de cadrages inédits, de formats extrêmes. On peut tout tenter si on en respecte les codes. En outre, c’est une occupation directement reliée à la nature, on se promène, on profite du chant des oiseaux, c’est incroyablement déstressant. Et à l’atelier, on travaille dans le calme ; c’est une pratique contemplative et, là aussi, c’est très relaxant. D’autant que le résultat est très gratifiant : qu’y a-t-il de plus joli qu’une série de ces petits dessins si à la mode ?

Selon vous, pourquoi ce genre artistique n’est-il pas « reconnu » en France ?

Je dirais plutôt qu’il n’est pas connu. Nous avons des artistes très performants mais le public ne les voit pas. Il faudrait une émulation, des structures, un enseignement, des occasions de montrer et de voir, un esprit communautaire qui nous fait peut-être défaut. Un grand mouvement de renaissance comme cela s’est produit pour le pastel depuis une quinzaine d’années. N’oublions pas que la France a un glorieux passé dans le domaine de l’art botanique !

L’art botanique est-il un domaine plus délicat que d’autres ?

Délicat dans le sens difficile, non. Délicat dans le sens raffiné, oui, je crois. On travaille souvent avec une loupe, les couleurs sont montées lentement, les nuances sont subtiles. Il faut prendre son temps, ne pas viser le résultat, savourer ces moments délicieux de calme et de concentration. L’art botanique est une formidable source d’équilibre. D’ailleurs, il y a un nombre incroyable de centenaires parmi les pratiquants!

Quels en sont les principes fondamentaux ?

L’observation est primordiale car l’exactitude scientifique est impérative : pas d’approximation, pas d’erreur, y compris dans le nom, qui doit comprendre le nom d’usage et le nom latin. Le thème doit être végétal au sens large. Cela peut être un bout de branche couverte de lichens, une tulipe en train de se faner, des radis qui dansent, une feuille morte, le détail d’une racine… tout ce qui est intéressant à
contempler. On peut y inclure des animaux, insectes, oiseaux, batraciens… mais ils doivent avoir un rapport avec la plante dans la réalité. Surtout, le résultat doit être beau. L’art botanique est un ravissement.

Quelles sont les techniques les plus adaptées à l’art botanique ?

La majorité des artistes pratique l’aquarelle. Le crayon de couleur, qui est mon médium, est une technique qui monte et permet un apprentissage rapide. On trouve aussi de superbes dessins au graphite et quelques pastels. D’autres techniques sont possibles mais anecdotiques.

Existe-t-il une palette de couleurs plus adaptée ?

La gamme chromatique est la signature de l’artiste : certains aiment les couleurs fortes, d’autres privilégient les teintes pâles ou rompues. Et, selon les thèmes, fruits, fleurs ou feuillages, chacun a ses favoris. Mais, dans tous les cas, les verts « épinard » sont à proscrire.

Comment débuter et progresser dans l’art botanique ?

Il vaut mieux d’abord maîtriser son médium. On trouve des tutos sur Internet. Passée la phase technique, le plus raisonnable est de commencer par l’étude des formes et des ombres au graphite. Puis, privilégier les formes simples et les couleurs presque unies. Les baies d’hiver que l’on trouve en ce moment sont parfaites. Ensuite, il faut pratiquer…

Avez-vous quelques « astuces » pour réussir une belle toile ?

Apprendre à regarder juste autour de soi. Les petites plantes sauvages qui poussent sous nos fenêtres sont souvent des merveilles, mais il faut savoir le voir.